DIAL

Migration, Ressources Humaines et Croissance de la Production Agricole au Mali

Arouna Sougane

Mars 2015

Université Paris-Dauphine

Sous la direction de Sandrine Mesplé-Somps et François Roubaud

Cette thèse analyse les effets de la migration sur le comportement des membres des ménages d’origine à un moment où les drames de l’immigration clandestine continuent de faire la une de l’actualité mondiale. Alors que la plupart des travaux s’intéresse uniquement aux effets des migrations internationales, notre étude, appliquée au Mali, élargit l’analyse aux migrations internes qui sont de forte intensité dans ce pays. Pour ce faire, nous mobilisons les données de deux enquêtes originales d’envergure nationale auxquelles nous avons participé : l’Enquête Modulaire et Permanente auprès des Ménages (EMOP) réalisée en 2011 par l’INSTAT et l’Enquête Agricole de conjoncture (EAC) conduite en 2008 par la Cellule de Planification et de Statistique du Secteur Développement Rural (CPS/SDR), en collaboration avec l’INSTAT. Notre apport a porté sur la conception méthodologique et la mise en œuvre pour la première et sur la supervision de la collecte pour la seconde. Le présent document est organisé en quatre chapitres.
Descriptif, le premier chapitre dresse un panorama des deux types de migration, présente les caractéristiques des migrants et évalue les montants des transferts et leur contribution aux conditions de vie des ménages récipiendaires. D’une manière générale, les mouvements migratoires constituent une stratégie d’adaptation aux aléas climatiques au Mali, comme partout au Sahel. En 2009, près de 1,4 million de Maliens résidaient dans une autre région que celle de naissance, soit 9,4 % de la population résidante. Cet effectif a régulièrement augmenté à un rythme annuel moyen de 4,0 % depuis 1976 où il était de moins de 400 000 personnes représentant 5,9 % de la population résidente. Les résultats indiquent une relation positive entre la migration interne et les aléas climatiques auxquels le pays est épisodiquement confronté. En effet, l’accroissement de la proportion de la population migrante interne est plus marqué au cours de la période 1976-1993 qui correspond à celle où le pays a connu plusieurs épisodes de déficit pluviométrique (1980-1987 ; 1989 ; 1990 ; 1993). Cela semble corroborer le rôle de la migration comme stratégie d’adaptation face à la désertification et ce d’autant plus qu’on note un fléchissement de la proportion de la population migrante entre 1993 et 1998 correspondant à la période de bonne pluviométrie.
En 2011, trois personnes sur dix vivaient dans un ménage dont au moins un membre résidait dans une autre localité du pays. Pendant ce temps, une personne sur quatre était concernée par la migration internationale. Les migrants sont majoritairement des hommes originaires du milieu rural dont l’âge est compris entre 18 et 35 ans, généralement plus instruits que les non migrants. La majorité d’entre eux contribue aux revenus de leur ménage d’origine à travers des envois de fonds dont le montant atteint plus de 15 % des dépenses de consommation de ces ménages. Le montant des transferts est estimé par l’EMOP à plus de 86 milliards de FCFA (170 millions $), soit une moyenne de 206 500 FCFA environ par ménage participant à la migration.
Les chapitres suivants mobilisent des techniques micro-économiques qui permettent d’estimer les effets de la migration tout en contrôlant des problèmes d’endogénéité. Ils s’appuient sur le modèle théorique de la nouvelle économie de la migration du travail qui étudie le phénomène comme le résultat d’une décision collective (le migrant et les membres de sa communauté). La migration est considérée comme une stratégie visant à diversifier les activités économiques, donc les sources de revenu de la communauté qui se trouvent ainsi protégées contre les contraintes de liquidités et de capitaux dans un contexte d’imperfection du marché de crédit et d’assurance.
A partir des données de l’EMOP 2011, le chapitre deux examine les effets des deux types de migration sur la scolarisation des enfants des ménages d’origine, notamment leur réussite scolaire. En utilisant les taux de migration antérieurs dans la localité comme instrument pour la migration actuelle, nous obtenons, d’une manière générale, un effet négatif significatif sur la réussite scolaire des enfants. En d’autres termes, les résultats suggèrent que les jeunes dans les familles d’origine des migrants ont moins de chance de réussir les transitions scolaires du premier au second cycle de l’enseignement fondamental et du second cycle au secondaire.
Dans le troisième chapitre, nous évaluons l’impact des migrations sur la productivité agricole. Nous testons l’hypothèse d’apparition d’un comportement opportuniste du fait de l’existence d’un contrat implicite entre les migrants et leurs exploitations d’origine. A partir des données de l’EAC de 2008, nous calculons l’efficience technique en estimant une frontière de production par la méthode des effets fixes. A l’aide d’un modèle théorique développé par Gubert (2000), nous trouvons que le niveau moyen d’effort des exploitations agricoles est d’autant plus faible qu’elles sont assurées de bénéficier des transferts des migrants. L’indicateur de la fiabilité du mécanisme d’assurance, mesuré par le ratio de migration (le nombre d’émigrés rapporté à l’effectif des membres de l’exploitation), constitue un élément important de l’inefficience technique des exploitations agricoles. 
L’insertion sur le marché du travail des migrants de retour est abordée dans le chapitre quatre. Il s’agit de savoir si le capital financier accumulé et/ou les compétences acquises en dehors de la localité sont mis en valeur au retour. Pour ce faire, nous mobilisons les données de l’EMOP 2011 pour analyser l’impact de la migration de retour d’une part sur l’orientation sectorielle sur le marché du travail et d’autre part, sur le niveau des revenus d’activité à l’aide d’un certain nombre de méthodes économétriques. Les résultats montrent que les migrants de retour ne semblent pas bénéficier d’une situation particulièrement favorable sur le marché du travail. Ils ont une probabilité plus forte de travailler dans le secteur agricole à caractéristiques observables données. Ils sont également moins bien rémunérés à caractéristiques identiques. Une analyse au niveau sectoriel et par sexe montre néanmoins que les hommes migrants de retour d’un pays de la CEDEAO1 et les femmes migrantes de retour d’un pays de l’OCDE2 bénéficient d’une prime salariale dans le secteur formel.
De façon générale, cette thèse met en évidence l’impact négatif des migrations, notamment sur le comportement des membres des ménages d’origine. Non seulement, elles font apparaitre un comportement opportuniste marqué par un moindre effort de leur part tant à l’école (pour les enfants) que dans les champs (pour les actifs agricoles), mais aussi, l’expérience migratoire n’influence pas significativement les chances d’insertion sur le marché du travail.