DIAL

Essais sur la production domestique, le capital humain et l’environnement dans les pays en développement

Thomas Thivillon

Novembre 2022

Université Paris-Dauphine

Sous la direction de Philippe De Vreyer

Dans les pays en développement, la production des biens et services essentiels à la vie, tels que les repas, l’eau, l’habillement, ou les soins aux personnes âgées, repose encore en grande partie sur l’économie domestique plutôt que sur l’économie de marché ou sur le secteur public. Ces activités contraignent l’utilisation du temps des ménages et des femmes en particulier. Elles sont aussi sources d’externalités négatives. Cette thèse étudie plusieurs dimensions de la production domestique ayant des effets importants sur la capacité des ménages à préserver leur santé et à investir dans l’éducation de leurs enfants.
Le premier chapitre évalue l’effet de la conversion des ménages de la cuisson au bois à la cuisson au gaz de pétrole liquéfié (GPL) sur la mortalité infantile au Pérou. Il exploite l’introduction séquentielle de subventions pour le GPL ciblant les ménages à faible revenu et compare les districts traités précocement aux districts traités tardivement, ou jamais traités, en utilisant une méthode de doubles-différences avec traitement échelonné dans le temps. L’analyse met en évidence une hausse de mortalité infantile de 15% à la suite du changement massif de combustible de cuisson induit par l’intervention, ce qui correspond à 6 600 décès infantiles supplémentaires entre 2010 et 2020. Elle montre aussi que cet effet inattendu s’explique probablement par le fait que le passage au GPL a conduit des ménages qui cuisinaient auparavant à l’extérieur à cuisiner plus fréquemment en intérieur, accroissant ainsi la part de leur temps passée dans des espaces clos, mal ventilés et pollués. Il en ressort que les interventions en matière d’accès à l’énergie pour la cuisson doivent accorder plus d’attention à leurs effets sur les comportements des ménages et à la ventilation des cuisines.
Le second chapitre étudie l’impact de la pollution de l’air sur le risque de contracter la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) à partir de données originales collectées au Burkina Faso, dans une population utilisant le bois comme source principale d’énergie. Il identifie cet impact en utilisant une moyenne de la consommation de bois parmi les ménages du voisinage comme instrument de l’exposition aux particules fines de moins de 2,5 microns (PM2.5) des membres d’un ménage. Les données recueillies montrent que 12% des adultes avaient déjà été contaminés par le virus à l’origine de la COVID-19 dans la zone d’étude en juin 2021. L’exposition aux PM2.5 augmente considérablement le risque de contamination. Pour une personne soumise au niveau d’exposition moyen constaté dans l’échantillon, les résultats prédisent une hausse de 7,6 points de pourcentage du risque de contamination par rapport à un scénario sans pollution. Ces résultats suggèrent que la conversion des ménages à des sources d’énergie moins polluantes pourrait contribuer à ralentir la circulation de virus respiratoires tels que les coronavirus.
Le troisième chapitre de cette thèse laisse de côté les externalités environnementales de la production domestique pour s’intéresser à ses effets sur les inégalités liées au genre. Il aborde cette question sous l’angle du temps dédié aux soins aux personnes âgées dépendantes. Il utilise des données longitudinales pour évaluer l’effet de la co-résidence avec des personnes âgées sur le niveau d’instruction des jeunes filles au Sénégal. La stratégie empirique exploite les décès de personnes âgées survenant durant la période de l’étude dans un modèle de triples-différences avec effets fixes individuels. L’analyse montre que le niveau d’instruction acquis sur une période de 4 ans est supérieur de 23% chez les jeunes filles ayant été affectées par ce type de décès par rapport à celles qui n’ont pas été touchées par ce choc. Ce résultat appelle à une meilleure prise en compte par les politiques publiques du travail domestique des enfants, et en particulier des jeunes filles, afin de réduire les inégalités d’éducation entre filles et garçons.